Niedermunster, l'abbaye oubliée
Perdu et oublié au fin fond d'un vallon à l'ombre du mont Sainte-Odile, le site est en principe fermé et interdit au public. Un grillage, soulevé par endroits, fait le tour de ces ruines, abandonnées au lierre et aux mauvaises herbes. Malgré l'interdit, je me suis glissé à l'intérieur et j'ai déambulé parmi les vestiges du couvent roman.
L'abbaye de Niedermunster - Saint-Nabor Bas-Rhin - 16 janvier 2013 - Mis à jour le 29/03/2013
L'escalier d'accès à l'hospice, aujourd'hui disparu.
À ma première visite au mois de janvier, quelques centimètres de neige recouvraient la totalité du site et lui donnaient un aspect étrange. Je me suis frayé un chemin au milieu de ces vestiges d'un autre temps. Le lieu est calme et reposant. C'est une sensation étrange que de déambuler au milieu de cet amas confus de ruines, en partie cachées sous le manteau blanc. L'histoire de ces pierres millénaires, exposées aux intempéries et laissées à l'abandon depuis des siècles, a alimenté de nombreuses légendes.
Le narthex de l’église, surmonté d’une tribune avec son arc en plein cintre et deux escaliers en colimaçon.
Avant l'an 720, Odile aurait décidé de construire une église dédiée à saint Martin et une hôtellerie dans la vallée, afin de faciliter l'accès aux malades et pèlerins fatigués, et d'éviter aux fidèles trop faibles d’entamer l’ascension de la montagne. Plus tard, en raison du nombre croissant de nonnes établies à Hohenbourg, elle y adjoindra une abbaye. La légende du chameau et de la croix reliquaire de Niedermunster situe la fondation de l'abbaye dans la première moitié du IXe siècle.
L'escalier en colimaçon mène à l'étage du narthex.
L'intérieur d'un des deux escaliers en colimaçon est balayé par un vent glacial. Au-dessus de moi, des stalactites de glace s'accrochent aux vieilles pierres. Dans une des ouvertures, un reflet de la neige laisse apparaître un étrange visage, déformé par un rictus de douleur.
La tribune et son arc en plein cintre qui résiste à l'usure des siècles, mais pour combien de temps encore.
Du premier couvent, édifié vers l'an 700 sous l'égide d'Odile, il ne reste rien. Dévasté qu'il a été par le duc d'Alsace, Frédéric de Hohenstaufen dit le borgne, lors de sa chevauchée fantastique à travers l'Alsace en 1114.
Vue sur la nef depuis le haut du nartex.
Pour la reconstruction du couvent, il faudra attendre 1150 et l'accession au trône impérial de Frédéric Barberousse, fils du précédent, celui-là même qui a dévasté l'abbaye quelque quarante années auparavant. Autour de moi, s'étalent les ruines de cet édifice, qui jusqu'à sa destruction définitive au XVIe siècle lors de la guerre des Paysans, était bien plus vaste que le monastère du haut.
L'escalier d'accès à la crypte.
Un hôpital et un bâtiment réservé aux sœurs complétaient l'abbaye. De ces deux édifices, il ne reste rien. De l’église en revanche, quelques pierres ont résisté au feu, aux pillages et aux vandalismes. Les bases d’un mur latéral, le cœur, la crypte sont encore visibles.
La crypte était accessible par deux escaliers depuis le transept.
Les diverses campagnes de fouilles ont démontré l’importance de Niedermunster et révélé l’ensemble du site. En particulier ceux de 1902 à 1904 de Félix Wolff, architecte et conservateur des monuments historiques d'Alsace. Ces fouilles ont permis de consolider les ruines et de dégager des vestiges intéressants, dont de nombreuses sépultures médiévales de plusieurs d'anciennes abbesses, inhumées dans la nef de l'église abbatiale.
Et puis lentement des nuages gris se sont assemblés au-dessus des ruines, et la neige s'est mise à tombée, drue, me signifiant ainsi qu'il était temps pour moi de quitter les lieux.
Deux mois ont passé. La neige a fondu et un air de printemps flotte sur le vallon. À nouveau, j'ai bravé l'interdit et me suis promené entre les murs virtuels de l'abbaye. De nombreux éléments architecturaux ; la base de piliers, des amorces d'escaliers, des assises de murets et plus surprenant, des pierres tombales aux armes des familles des abbesses ayant dirigée l'abbaye gisent au sol. Il y a quelques chose d'émouvant à voir ces dalles funéraires usées par les siècles.
À gauche, la dalle funéraire de Marguerite de Senon, morte en 1370. Au centre, celle d'Ursula Zu Triebel. À droite, une pierre tombale portant les armes de la famille von Bucheck.
Depuis 1920, la statue de Sainte-Odile veille sur l'Alsace du haut de sa montagne.
La légende du chameau
Accusé faussement de conspiration contre Charlemagne, le comte Hugues de Bourgogne s'en retourne prestement chez lui, après avoir frôlé la mort par la main même de son seigneur. Pour se faire pardonner d'avoir douté de sa fidélité, Charlemagne lui offre un coffret contenant des reliques de saint-Basile et de saint-Denis, un bout du tissu du vêtement de la Vierge Marie, un bout de bois de la Vraie-Croix, et le must du must, le Saint Prépuce, rien que çà !
Hugues enferme les reliques dans une grande croix en or et en argent, et charge le tous sur le dos d'un chameau ! Tandis qu'il rejoint sa Bourgogne natale, l'animal, escorté par cinq chevaliers, part sur les chemins de France et arrive finalement devant le portail de l'abbaye de Niedermunster où il s'agenouille. La croix restera donc ici à l'abbaye Sainte-Marie de Niedermunster.
Mais l'histoire, ou plutôt la légende, ne s'arrête pas là. Nos cinq chevaliers bourguignons, leur mission accomplie et prit par la ferveur et la spiritualité qui flottent sur ce vallon, décidèrent de rester. À proximité de l'abbaye, ils ont érigé la chapelle Saint-Jacques, dont les quelques vestiges visibles de nos jours, datent d'une reconstruction de l'édifice au XIIe siècle.
Le chœur de la chapelle romane Saint-Jacques.
La légende raconte que les grosses pierres qui dépassent du sol en plein milieu de la nef, ont été laissée volontairement en place pour rappeler les bosses du chameau.
Un lion à Niedermunster
Après avoir guerroyé en Terre Sainte pendant de longs mois contre les Sarrasins, Richard Ier roi d'Angleterre, dit Coeur de Lion, prend le chemin du retour. Déguisé en marchand, il tente discrètement de traverser les terres autrichiennes, pour se rendre chez son beau-frère Henri XII le Lion, duc de Bavière. Mal lui en pris, il est capturé et vendu à l'empereur Henri VI le Cruel.
Le roi d’Angleterre est incarcéré dans le château de Trifels dans le Palatinat, puis à Haguenau où il est jugé en 1193. Après quatorze mois d'intense tractation, il est libéré contre la modique somme de 150.000 marcs.
C'est ici que la légende prend le relais pour le retour de Richard en ses terres anglaises. Pour remercier le ciel de sa libération, il fait un crochet par Niedermunster, pour se recueillir au pied de la croix contenant les saintes reliques.
Des travaux de restaurations et de consolidations ont été entrepris depuis ma visite en 2013.
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