Du Gazon du Faing au rocher Hans

Le Blanc et le Noir

Il fait un temps de fin d'hiver sur la route des Crêtes, à peine 4 petits degrés. Un vent froid pousse devant lui les nuages et les nappes de brouillard. Quand nous quittons le parking de l'auberge du Gazon du Faing, toujours fermé pour cause de COVID, nous pensions être les seuls humains à nous promener sur ces hauteurs désolées.



- Par Claude - Publié le 27 mai 2021 - Orbey - Haut-Rhin -
Temps de lecture : une certaine durée
Mis à jour le 07 juillet 2024




Le sentier, en pente douce monte en direction du Soultzeren Eck, au milieu d'une végétation rase de gentiane, de callune, de myrtille et de bruyère sombre et enflées. La terre, gorgée d'eau par endroits, se soulève en buttes et en monticules d'herbe, marqué de quelques rochers ératiques. Ici ou là, des épicéas solitaires se dressent au milieu de cette lande immense et sauvage.



La tourbière du Gazon du Faing.



Vers le Sud, des plaques de neige s'accrochent encore dans les replis des rochers, sur les pentes abruptes du Gazon de Faîte. Au-dessus de nous, sur la ligne de crête, au bord du précipice, se dessine le rocher du Taubenklangfelsen que nous croiserons plus tard sur le chemin du retour.



Le Gazon du Faing se trouve dans la Réserve naturelle du Tanet-Gazon du Faing. C'est une zone fragile et protégée, il est donc interdit de quitter les sentiers balisés. À mi-chemin du Soultzeren Eck, une passerelle en bois permet d'avancer au-dessus de la tourbière.



Une passerelle a été aménagée au-dessus de la tourbière.



Jusqu'au début des années 1950, les hommes se servaient de la tourbe pour se chauffer, c'était le charbon du pauvre. Sur le front de taille, les mottes de tourbes étaient débitées sous forme de briquettes, chargées sur des charrettes tirées par des bœufs puis descendues dans la vallée. Cette activité est aujourd'hui strictement interdite.



Nous arrivons sur la ligne de crête, à 1306 m d'altitude, là où jadis passait la frontière franco-allemande de 1871 à 1918 et de 1940 à 1945. De nos jours, c'est le rectangle rouge du fameux GR5, le sentier de grande randonnée, qui depuis les plages de la mer du Nord aux Pays-Bas, relit Nice sur les bords de la Méditerranée. Il entre en Alsace à Wissembourg pour en sortir au Ballon d'Alsace, après un périple de 430 km.



Des bornes frontières le long du GR5.



Entre la chaume à gauche et la lisière de la forêt d'altitude sur notre droite, nous prenons la direction du Nord, vers le col du Calvaire. Par moment, le soleil réussi à percer les nuages et réchauffe brièvement l'atmosphère. Bien que nous soyons un jour de semaine et malgré le mauvais temps, nous avons croisé au minimum une cinquantaine de randonneurs, ainsi qu'une classe entière d'une école primaire. Et nous deux qui pensions être seuls ! Le sentier sur cette portion du GR5 est fortement dégradé. La surfréquentation du site, combiné à la fonte des neiges et aux fortes pluies de ces dernières semaines, explique en grande partie le phénomène d'érosion du sentier de crête.



Sur ce sol saturé d'eau et creusé de profondes ornières, nous avançons difficilement entre zones boueuses et rochers affleurants. Nous arrivons à hauteur d'un croisement de chemins, où nous abandonnons le GR5 pour suivre le balisage en direction de la source du lac Blanc et le rocher Hans. Le sentier étroit s'enfonce dans la forêt d'altitude, une hêtraie aux arbres bas et rabougris, où sapins et sorbiers s'entremêlent. En quelques minutes nous débouchons sur la source du lac Blanc. En contrebas, un à pic vertigineux de plus de 200 mètres, plonge dans les profondeurs du lac glaciaire.



Vue sur le lac Blanc depuis sa source.



Le Lac Blanc à 1050 m d'altitude, aux pieds des pistes de ski du col du Calvaire, est enchassé dans de hautes falaises de granite. Il doit son nom au sable quartzeux blanc qui tapisse le fond du lac. D'origine glaciaire, le lac a une profondeur de 72 mètres, c'est le plus profond des Vosges. Il est dominé par un rocher ruiniforme, appelé le rocher Hans, dont le sommet est coiffé d'une statue de la Vierge.



Le rocher Hans, sombre et fantastique, vu depuis la source du lac Blanc.



Après la source, nous prenons la direction du rocher Hans, le but principal de cette rando. Le sentier progresse en sous-bois, le long du rebord Sud du lac. Nous avançons au milieu d'une forêt fermée, obscure, un peu austère et sauvage à la fois, c'est la hêtraie d'altitude. Les arbres ne dépassent guère 3 à 4 mètres de hauteur. D'aspects malingres et rabougris, les hêtres, les sapins et quelques bouleaux sont recouverts de mousse et de lichen. Par une petite trouée dans l'épaisseur du rideau d'arbres chétifs, le lac se découvre dans sa cuvette de roc cernée de sapins.



La surface lisse du lac endormi.



La progression sur le sentier encombré de pierres, raviné par les pluies et le passage répété des hommes (et des femmes) est délicate, gare aux chevilles ! La hêtraie maintenant s'éclaircie quand nous arrivons sur le premier escarpement rocheux. C'est d'abord une terrasse, un balcon fait de blocs de granit érodés. Quelques mètres plus loin, c'est un chaos d'énormes rochers qui domine le lac. Sous nos pieds, surmonté d'une statue de la vierge, le rocher ruiniforme, également appelé le château Hans par la légende, se dresse face à la cuvette glaciaire.



Le rocher Hans se dresse à 1144 m d'altitude.



Aucun sentier ne mène au sommet du rocher, là où veille la vierge. L'accès à la pointe du piton ne peut se faire qu'en escalade. Elle est réservée aux grimpeurs les plus aguerris. Un peu à regret, nous quittons ce magnifique promontoire pour un autre rocher, l'Observatoire Belmont, distant de quelques centaines de mètres seulement. Sur le rocher de granit est scellée une plaque à la mémoire du capitaine Ferdinant Belmont. Le promontoire était un poste d'observation lors de la Première Guerre mondiale. Le capitaine Ferdinand Belmont, du 11e bataillon de chasseurs Alpins, y avait effectué une reconnaissance. Il est mort pour la France le 28 décembre 1915 sur le Hirtzenstein, un rocher d'origine volcanique, sur le flanc Sud du Hartmannswillerkopf (le Vieil Armand).



Le rocher fracturé de l'Observatoire Belmont.



Nous quittons cet amas de roches, et partons vers l'aval, en direction de la source du lac Noir. D'ici, la forêt plus ouverte desserre son étreinte, tout en gardant l'aspect sauvage d'une forêt primitive. Le sentier longe le bord Ouest du cirque glaciaire à 1200 m d'altitude. Peu à peu les eaux sombres du lac Noir se dessine 250 m plus bas. Par endroits, les racines noueuses des sapins couvrent le sol, comme un épais tapis tissé avec de grossiers fils de laine.



Un tapis de racines comme couvre-sol.



Malgré tous ces randonneurs bruyants et jacassants, croisés tout au long de la journée, j'espérais secrètement avoir la chance d'apercevoir, même furtivement, un de ces animaux emblématiques du massif. D'abord le chamois, réintroduit dans les Vosges au milieu des années 1950. Le Grand tétras, ou Coq de bruyère, et que l'on dit en voie de disparition. Le lynx, éradiqué dans les années 1990 après quelques tentatives avortées de réintroduction, les chasseurs ne supportant pas la concurrence. Il fait un retour timide dans le massif, depuis le Nord de l'Alsace, grâce au programme de réintroduction allemand dans le Palatinat depuis 2016. Il y a enfin le loup, celui qui tient avec l'homme, le haut du pavé dans la chaîne alimentaire. De tout çà, il n'en fut rien, seules des traces de sabots dans la boue fraîche. Peut-être une prochaine fois !



Le lac Noir.



Depuis 1933, une centrale hydroélectrique, construite sur la rive Ouest du lac Noir, produisait de l'électricité par pompage et turbinage des eaux du lac Blanc, situé 100 m plus haut. À la suite d'une avarie en 2002, la centrale cessait sa production. Elle a été démolie en août 2014.



Le sentier rocailleux dans la hêtraie-sapinière.



Au détour du sentier, voici la source du lac et son tronc évidé comme un abreuvoir. Rien n'a changé depuis mon dernier passage, il y a quelques années. Le filet d'eau claire et pure émerge à l'air libre, du bord le plus élevé du cirque glaciaire. Il s'attarde quelques instants sur le sentier, le temps de former un lac en miniature, puis dévale les parois rocheuses de la montagne.



À la source du lac Noir.



Près de la source, nous profitons d'un moment de pause bienvenue, avant de prendre tranquillement le chemin du retour. Nous laissons la hêtraie derrière nous, quand le sentier débouche sur la crête dénudée, où nous retrouvons le rectangle rouge du GR5. À nouveau, c'est un vent froid qui nous entoure. Entre ornières et rocailles, nous nous dirigeons vers le Soultzeren Eck avec le Taubenklangfelsen et le Gazon de Faîte en points de mire.



Les Hautes Chaumes du Gazon du Faing, dans la réserve biologique.



Au fond du cirque glaciaire, aux pieds de la falaise du Taubenklangfelsen, se trouverait l'emplacement d'un étang, aujourd'hui comblé. Au Moyen Âge, les moines de l'abbaye de Munster y élevaient, paraît-il, des truites, des carpes et autres poissons d'eau douce.



Le Taubenklangfelsen, le rocher du cri du pigeon, à 1299 m d'altitude.



Légende ou réalité ? car le nom de Forlet est une mauvaise traduction du véritable nom qui est "Foehrle", et qui veut dire pins. Au fil du temps, il se transforme en Forlen, en Forellen, qui traduit en français devient les truites.



Le lac du Forlet ou lac des Truites.



Notre périple se termine ici, au-dessus du lac du Forlet/Truites. Un dernier regard sur ce vaste plateau ouvert et désolé, avant de redescendre sur le parking de l'auberge du Gazon du Faing.




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